Deux espaces et une frontière. Une chapelle désacralisée a été divisée en son biais en deux espaces opposés entre lesquels se dresse une singulière barricade, monument aux morts hérissé de crêtes aiguës, vestiges d’une œuvre passée.
Premier espace : un atelier. Le long des murs des étagères et un plan de travail ont servi de support à la fabrication de cratères et volcans de papier mâché, petites machines en lesquelles ont été déclenchées des éruptions de peintures. Ça et là, des petits tableaux peints sur différents supports, morceaux de planches ou cartons de boîtes à pizza, représentent aussi des volcans en éruption. Ici est figuré un espace de travail et de production, momentanément en arrêt mais susceptible de se remettre en marche à tout moment.
Deuxième espace : un entrepôt. Autant le premier portait les traces d’une agitation et d’un bouillonnement récents, autant celui-ci est froid, immobile, dégageant une atmosphère proche de celle d’une zone périurbaine éclairée de quelques lampadaires. Ce pourrait être la rue. Ou encore une zone ouverte où du matériel urbain est entreposé. Un endroit étranger à l’humain et à la vie. Quatre propositions sculpturales, ayant toute la même base rectangulaire, sont alignées deux par deux : une double rangée de lampadaires de jardin, un billard tout en angle droit, un socle en contreplaqué peint, une tente de plastique blanc abritant des néons.
Une frontière : la précédente exposition de l’artiste, Erehwon P.O.V, présentée au printemps à La salle de bains à Lyon a été démontée puis traitée comme matériau pour réaliser une barricade, construction faite avec les moyens du bord servant à la défense ou à l’attaque et séparant deux territoires en conflit. La pièce fait environ deux mètres de haut et dix mètres de long. Elle a les dimensions d’un monument hommage aux combattants tel qu’en a produit l’art militaire. Elle partage son héroïsme et son lyrisme, mais passés dans l’abstraction. La structure principale de Panic Raide, œuvre réalisée avec Georges Tony Stoll à Paris au printemps 2008, faite de lignes brisées traversant des tourbillons, suggérait le même élan et présentait les mêmes qualités sculpturales, l’équilibre entre la masse et les mouvements suggérés par les lignes directrices qui la structurent. Cette partie centrale articule les deux espaces opposés en leur opposant à son tour chacune de ses faces.
Cette partie centrale établit un lien matériel et non thématique entre les deux expositions de l’artiste. Cela me semble une des caractéristiques du travail de Yann Géraud.
Erehwon P.O.V était une exposition qui portait sur l’esprit de son travail, c’est-à-dire dans quel état d’esprit il produit et désire continuer à produire des œuvres d’art (voir le compte rendu précédent). Cet esprit s’exprimait en termes matériels : imiter l’efficacité de l’industrie avec ses propres mains. Ce souci d’indépendance matérielle m’apparaît comme une condition pour la liberté intellectuelle de l’artiste.
Expression Janus pose d’autres problèmes relatifs à la production en donnant à voir des pièces produites dans un atelier, soit un lieu où s'exécutent des travaux manuels, et dans un entrepôt, soit un lieu ou un bâtiment où l'on dépose quelque chose.
Yann Géraud est un artiste matérialiste. En insistant de cette façon sur la matérialité de son travail, il me semble poser des problèmes spécifiques à sa condition d’artiste et, par cette honnêteté, pouvoir entrer en communication avec tous les hommes qui ont encore des yeux pour voir, une tête pour penser et des mains pour travailler.
Expression Janus, Chapelle Saint Quirin, Sélestat, Alsace, jusqu’au 16 août 2009