Pour leur première exposition à la tête du lieu, les nouvelles directrices de la Salle de bain (Jill Gasparina et Caroline Soyez-Petithomme) ont invité Yann Géraud. L’artiste présente une exposition au titre énigmatique : Erehwon P.O.V. Il est indiqué qu’il s’agit d’un lieu qui serait nulle part (nowhere) et ici et maintenant (now here). Autrement dit : le rassemblement de l’utopie et de l’inscription dans le réel. Sans doute rien d’autre que l’expérience de l’invention.
L’exposition s’ouvre sur la maquette d’une maison labyrinthique couverte de flammes peintes au pochoir, présentée sur un socle efficacement bricolé. Au sol sont entassés des moulages de têtes peints de goudron et de peinture or. Là le visiteur peut bifurquer vers trois barques peintes chacune d’une couleur pastel jusqu’à la ligne de flottaison, contenant leurs rames dressées, rayant ainsi le champ de vision au fond duquel s’exposent trois horizons photographiques. Il peut s’engager aussi à l’intérieur d’une galerie aux armatures métalliques, dont les parois sont faites de peintures à l’huile sur contreplaqué, seulement visibles de l’extérieur de la galerie. Cette dernière abrite une plate-forme à double-fond : paysage crevassé s’ouvrant sur un plateau goudronné. À la surface, court un réseau de câbles électriques alimentant des moniteurs vidéos. On y voit des actions qui semblent des rituels, et un ciel traversé de nuages.
Dans le champ de la sculpture contemporaine, Yann Géraud échappe aux courants qui ont prédominé ou prédominent dans sa génération. Aucune trace chez lui de l’ironie post-minimale-pop-appropriationniste qui a marqué ces dernières années, ni du geste tellurique qui semble faire aujourd’hui son retour. Son geste s’apparente plutôt à celui des artistes qui sont venus à la sculpture via la performance, notamment Kelley et Oppenheim. Autrement dit : sa sculpture est avant tout la résultante et la trace de son action. Chez Yann Géraud, l’acte sculptural, qui doit se comprendre plutôt comme une fabrication, consiste à découper, tailler, puis assembler des morceaux à la façon du docteur Frankenstein. La « facture » de son travail, la brutalité de sa non-finition, ce qu’on pourrait appeler son style « garage[1] », n’est pas sans évoquer les coutures apparentes de la créature du savant fou. Dans ce style si caractéristique se rejoignent de nombreuses préoccupations de l’artiste : un ensemble de « Non » qui sont l’envers d’un grand « Oui ». Recours à l’assemblage par refus des formes trop simples et trop lisibles. Refus de la belle façon qui fait tomber la sculpture dans la décoration. Refus de l’intégration dans des processus de fabrication industrielle. Cette position à contre courant n’est pas réactive. Elle est l’expression d’une volonté qui fait retour, qui fut l’esprit de l’Europe révolutionnaire de la fin du XVIIIe jusqu’aux crépuscules du XXe, et qui s’exprima dans la philosophie allemande de Kant à Marx. L’artiste revendique « une implication à outrance dans tout ce qu’il fait » et le recours à la rhétorique du combat et à l’imagerie guerrière, comme « l’expression démesurée d’une volonté ». Il dit, au sujet du mode de fabrication des œuvres, qu’il imite l’efficacité de l’industrie tout en rassemblant l’ensemble de ses moyens entre ses seules mains. Il nous semble donc devoir être considéré comme relevant d’un mode de production post-industriel, qui pourrait aussi bien être qualifié de pré-industriel, comme ceux développés par des pionniers ou les survivants d’une catastrophe. L’humanité ici à l’œuvre est celle qui s’exprime par l’ingéniosité. En cela réside un certain humanisme : ces œuvres sont la preuve que chaque homme, du moment qu’il est en état de travailler, peut se mettre à fabriquer lui aussi, exerçant ainsi sa liberté.
Cette exposition a été présentée par La salle de bains à Lyon du 9 janvier au 8 mars 2009
[1] Cette esthétique n’a rien à voir avec le « tuning » qui n’est qu’une approche esthétisante de l’univers mécanique de l’automobile. Le « garage » de Yann Géraud s’apparente à l’atelier installé au fond du garage, destiné au bricolage, donc en dernière instance, au bon fonctionnement garanti par les moyens du bord. En bref : une référence à l’activité.
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