Henry Geldzahler (1965) est le dernier film d’Andy Warhol montré par la Cinémathèque Française ce printemps. C’est un portrait noir et blanc, silencieux, du conservateur et ami de l’artiste. Une heure et demi durant, Henry Geldzahler est vautré sur un canapé. Il allume un cigare et le fait durer le plus longtemps possible, une heure sans doute. Il joue avec la cendre, puis avec la fumée. Il déplace le cendrier. Souvent il se love dans le sofa et semble s’endormir. Puis il refait face à la caméra. Un de ses bras se redresse et se replie au-dessus de sa tête. Puis il se recoiffe, déplaçant la longue mêche de cheveux soyeux qui masque sa calvitie.
Ni fascinant, ni hypnotique, le film se regarde en vision flottante, comme on parle d’écoute flottante. Aucune concentration n’est nécesssaire. Aucune attention soutenue n’est requise. Il suffit d’être disponible à cette expérience qui mobilise tout notre corps – à la différence des films qui ne s’adressent qu’à nos yeux et nos oreilles – mais de façon lâche. Geldzahler était sans doute un parfait sujet pour un tel film, car cet homme est félin. Ses gestes, limités à l’espace du sofa et son enfermement dans le cadre de l’objectif, sont souples et ronds. Il s’enfonce littéralement dans ce sofa usé qui prit à mes yeux, au cours de la projection, une allure géologique : une sorte de trou d’où nous observent les yeux myopes de l’homme à la langueur divine (« divine » pour « diva »).
Dans un témoignage Geldzahler raconte que Warhol s’était contenté de l’installer dans ce sofa un dimanche soir, de déterminer le cadre, et avait laissé la caméra enregistrer, se contentant de venir de temps à autre contrôler le bon déroulement de l’opération. L’artiste se mettant en retrait, la caméra fait le film seule. Les yeux de Geldzahler ne peuvent se poser sur aucun regard mais sur la machine enregistreuse. En l’absence de médiation humaine, c’est cette machine qui opère la mise en relation du regardé et du regardeur. La situation de face à face entre le sujet et la caméra, qui produit un « regard caméra » continu de la part du premier, a pour conséquence un autre face à face, entre le regardé et le regardeur. Nous nous trouvons dans la même disposition physique (affaissement dans le fauteuil, léger assoupissement) et sans doute morale (penser au fait que l’on voit / l’on tourne un film, penser au fait que l’on voit / l’on tourne, penser à tout autre chose) que Geldzahler. Il se produit ainsi une égalisation entre regardé et regardeur. Regarder et être regardé sont équivalents, échangeables. Le spectateur, bien qu’observant le sujet à la manière d’un entomologiste, dans le détail infime de ses comportements et ses gestes les plus simples, n’a pas de position privilégiée. Cela nous autoriserait à parler d’un certain égalitarisme du cinéma de Warhol. Il dé hiérarchise les relations entre le spectateur, le filmeur et le-s filmé-s, tous mis au même niveau par la machine.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire