Depuis l’apparition de Butt en 2001, le magazine néerlandais anglophone qui (en principe) n’interviewe que des hommes gays, quelle que soit leur activité professionnelle, pour la seule raison qu’ils sont gays, et présente des séries photo d’hommes (plus ou moins) nus, toute une nouvelle génération de magazines gays est apparue. Manifestation, sans doute, de l’envie de trouver une alternative à la dualité entre magazine gay généraliste et magazine porno traditionnel, et de retrouver les provocations des fanzines des années 1970-1980, qui mélaient pornographie, littérature, musique. Le principal désir à l’œuvre dans la conception de tels magazines est d’échapper à la standardisation et aux cloisonnements de la presse magazine mainstream. Cette prolifération de « petits Butts » a cependant produit sa propre standardisation : partout la même série de photos signée Slava Mogutin, ou bien des théories d’adolescents sortis d’un roman de Denis Cooper ! L’alternative devient parfois, elle aussi, normative et chiante ! Ceux qui tirent le plus leur épingle du jeu sont les plus monomaniaques, comme l’italien Pisszine (gentiment) dédié au fétichisme urophile et imprimé sur papier jaune et le barcelonais Kink qui ne présente que des photographies de mecs nus, le plus souvent se branlant ou baisant, le plus souvent photographiés par les éditeurs eux-mêmes, Paco y Manuel. Ou encore Electric Youth !
Cette longue préface pour en arriver là : est apparu récemment ce magazine madrilène, rédigé en anglais, qui est – à mon sens – hystériquement warholien et à ce titre le plus beau magazine du monde (plus beau même que l’Uomo Vogue). Dans sa dernière livraison publiée l’hiver dernier et entièrement photographiée par Doug Inglish, le magazine présente une quarantaine de modèles, parmi lesquels on compte quatre jeunes filles, tous nés entre 1986 et 1992, tous vivants en Californie, hétérosexuels, et la plupart posant en slip de bain dans des jardins californiens, ayant commencé des études et désirant devenir mannequins – du moins célèbres et sexy par quelques moyens que ce soit. Le magazine hérite directement de Andy Warhol’s Interview (même format, même type de papier, même promesse de célébrité) et des photo reportages de Bruce Weber dans Uomo Vogue (même glamour clean, mise en page de teen magazine stylé début 80’).
En lisant les interviews des jeunes gens, impossible de ne pas penser à l’affirmation de Warhol selon laquelle tout le monde a quelque chose à dire et à un des meilleurs moments de l’exposition Warhol’s TV à la Maison Rouge. Dans Andy Warhol’s fashion, Andy interviewe de jeunes mannequins masculins, beaux, propres et en bonne santé, qui témoignent de leur métier de modèle. Un des modèle y déclare qu’un mannequin n’est pas nécessairement idiot mais que son milieu professionnel ne lui permet pas de se cultiver. La preuve qu’une banalité peut recéler un constat sociologique pertinent. Ici on demande à chaque modèle s’il connaît Faye Dunaway, ce à quoi Robbie Amell répond : « I don’t know who she is… I’m not that old ! ». Tim Hernandez confesse : « Each morning I wake up hoping to be more beautiful ! ». Alex Christensen déclare quant à lui : « I use moisturizing lotion all the time ! ».
En parcourant cette théorie de jeunes gens en fleurs, impossible de ne pas penser à cette autre affirmation warholienne selon laquelle les lèvres de Marilyn Monroe n’étaient pas embrassables mais photographiables. Les teenagers d’EY ! semblent eux aussi destinés à la chaste contemplation du papier glacé. Ils ne sauraient être objets d’une autre consommation que visuelle et spirituelle, soit d’une masturbation soft, sans érection et sans conséquence.
On ne remerciera jamais trop American Apparel de financer une telle entreprise !
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