dimanche 21 juin 2009

RÉGIME SEXUEL EN DÉMOCRATIE CAPITALISTE


Courtesy galerie serge le borgne, Paris

La galerie Serge le Borgne montre actuellement trois séries de photographies de Jürgen Klauke dont une, datée de 1977, est intitulée Dr. Müller Sex-shop oder so stell’ ich mir die Liebe vor (Le sex-shop du Dr. Müller ou comment je me représente l’amour). Le titre indique de quel confluent, entre commercialisation du sexe et vulgarisation de la psychanalyse, part cette œuvre qui peut être perçue aujourd’hui comme une documentation des changements opérés dans la sexualité occidentale au cours des années soixante-dix.

Klauke s’y met en scène en homme-orchestre affublé d’accessoires dont la quantité augmente au fil des photographies. Des godemichés de formes, de couleurs et de tailles variées, une poupée gonflable, des ballons de baudruche et autres objets-jouets à gonfler viennent se greffer sur son corps. Comme si l’artiste s’était vautré dans la réserve d’un sex-shop et d’un magasin de farces et attrapes et en ressortait couvert de ce singulier bric-à-brac. Il ne semble viser ni une démonstration relative à la construction des corps et de la sexualité, ni une dénonciation de la « marchandisation » du sexe. Il agit plutôt en bouffon qui vient amuser la galerie, se livrant à une fanfaronnade alimentée dans un bazar du sexe.

En cela, l’œuvre me semble une documentation pertinente de son temps, qui a vu docteurs et marchands s’emparer de la « libération sexuelle » pour la mettre à disposition du grand public sous forme de films pornos, de sex shops, d’ouvrages pédagogiques. Dans les années soixante-dix, le commerce sexuel gagne pignon sur rue, se banalise, profitant de l’esprit de subversion venu des milieux contestataires et d’une partie de la jeunesse. En France, à la même époque, les femmes conquièrent le droit à parler de leur sexualité, la contraception se développe, l’avortement est légalisé. Ces progrès, qu’on a identifiés comme participant d’une libération sexuelle, vont de pair avec la libéralisation du sexe. Un phénomène somme toute normal dans une société marchande. Comme le signale Lionel Soukaz dans son film La loi X, avant l’instauration, en 1974, de cette loi qui taxe lourdement la cinéma porno et l’exclut du régime d’exploitation cinématographique traditionnel, le porno se montre dans tous les cinémas et peut faire l’objet d’une consommation familiale.

Il n’y a pas véritablement de rupture entre les expériences communautaires de « libération sexuelle » et le « sexe à papa », mais plutôt une délimitation économique entre l’alternative réservée à une minorité et l’offre marchande accessible à la majorité qui reste consommatrice. Dans le monde capitaliste, la consommation du sexe va bon train, et de pair avec sa médicalisation, de la popularisation de la sexologie au développement de la contraception. Après l’électroménager, l’automobile et la télévision couleur, les ménages s’équipent d’une vie sexuelle colorée.

Objet d’une réédition, cette série de photographies nous vient tout droit de cette période à la fois disparue avec le « retour à l’ordre » des années quatre-vingt et ayant défini les coordonnées contemporaines en matière de sexualité, telles qu’elles ont pu être analysées par Michel Foucault et ses successeurs queers. La force de l’œuvre réside dans sa valeur spécifique de document. En tant que telle, elle peut être vue comme une représentation de la jouissance en démocratie capitaliste. De cette valeur elle tire son actualité en tant que constat des relations complexes entre libéralisme et liberté.


Jürgen Klauke, Einsamzweisam, galerie serge le borgne, 108 rue Vieille-du-Temple, 75003 Paris - jusqu'au 25 juillet


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