Dans Rien sur Robert de Pascal Bonitzer (1999) Fabrice Luchini joue le rôle d’un critique de cinéma dont la vie bascule après qu’il ait écrit un article sur un film qu’il n’a pas vu. Judicaël Lavrador vient de reprendre ce rôle dans les Inrockuptibles où il chronique l’exposition de Stéphane Vigny à la Galerie LHK qu’il n’a manifestement pas visitée. Il aurait sans doute remarqué que Stéphane Vigny a finalement décidé de ne pas peindre son dolmen en béton cellulaire en « rose tarama », une blague que l’artiste lui-même a sans doute considérée comme étant trop éculée, se contentant de citer simplement – c’est-à-dire avec brutalité – un des nombreux lieux communs de la « jeune scène française » à laquelle il appartient. Il aurait aussi sans doute remarqué que par delà la répétition ironique des tics de la « jeune scène française », dont la répétition ironique constitue le tic principal, l’exposition de Stéphane Vigny, Sam suffit, est remarquable car c’est une exposition réussie en cela qu’elle va au-delà du commentaire et de la private joke à destination de professionnels de l’art[1].
Comme nombre de ses camarades, Stéphane Vigny s’approprie des objets issus du quotidien, devenus invisibles à force de banalité, et en révèle avec humour la charge esthétique. Ainsi les tubes de PVC sortant du sol de Jamaïque ou l’ornement de portail en béton de 1/3 ou encore Buse, conduite d’évacuation d’eau en béton présentée comme pièce archéologique. Que l’effet soit intentionnel ou non, son exposition prend les allures d’une rétrospective de la « jeune scène française » ou d’un catalogue des lieux communs de cette scène. On y sent comme un air de Bouvard et Pécuchet. Là ce qui pourrait être un Dewar et Gicquel, ici ce qui rappelle Nicolas Milhé et, là encore, une possible citation de Raphaël Zarka. Et cette exposition qui pourrait n’être qu’une exposition de plus, maîtrisée, drôle et aussitôt oubliée, devient plus que ça. Elle ne va pas dénicher de l’inframince entre les objets d’art et les objets qui n’en sont pas, mais entre les objets d’art eux-mêmes, tant ceux-ci paraissent être souvent des copies d’objets d’art. La banalité extrême, presque scandaleuse, du titre de l’exposition, Sam suffit, citation du nom le plus banal que Monsieur tout le monde puisse donner à son pavillon, semble tellement caractéristique qu’elle fait apparaître ce titre comme étant une sorte de ready-made au carré : un ready-made de ready-made qui cite la banalité de l’art contemporain en feignant citer celle du vulgaire.
Ajoutons au crédit de Stéphane Vigny qu’il fait également ici la preuve d’un sens aigü de l’accrochage. L’exposition se découvre véritablement au fur et à mesure qu’on y circule, allant d’une surprise (une boîte d’aiguilles aimantée qui rejoue modestement les tableaux animés de Paul Bury) à une découverte (une moulure accrochée au plafond de la galerie), pour finir par former un tout cohérent. Celui-ci trouvant peut-être son achèvement, éventuellement sa sortie, dans la niche à flyer de la galerie laissée vide ce jour-là et qui prenait dans cet ensemble l’air d’un ultime ready-made, involontaire celui-là !
Galerie LHK, 6 rue Saint-Claude, 75003 Paris - exposition jusqu'au 11 juillet 2009
[1] Blagues dont la caractère privé ne consiste pas uniquement en la citation des lieux communs de l’art moderniste et post-moderniste mais aussi en celle des lieux communs de l’architecture et du design vernaculaires qui sont apparus comme le « symbolon » d’une scène ayant émergé dans le triangle délimité par la Zoo Galerie, la Galerie Chez Valentin et l’Espace Ricard pour l’Art Contemporain.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire